La Divine Pagaille
entre Terre et Ciel
LA DECOUVERTE FONDAMENTALE
« La découverte fondamentale, je l’ai faite dix jours à peine après l’accident qui m’a rendu aveugle.
Elle me laisse encore ébloui. Je ne peux l’exprimer qu’en termes très directs et très forts : j’avais perdu mes deux yeux, je ne voyais plus la lumière du monde, et la lumière était toujours là.
Elle était là. Imaginez ce que cette surprise a pu être pour un petit garçon de moins de huit ans. C’est vrai, la lumière je ne la voyais plus hors de moi, sur les choses, mélangée aux choses et jouant avec elles ; et tout le monde autour de moi était convaincu que je l’avais à jamais perdue. Mais je la retrouvais ailleurs. Je la retrouvais au-dedans de moi et, ô merveille ! elle était intacte.
Ce dedans de moi, où était-ce ? Dans ma tête, dans mon cœur, dans mon imagination ?
Mais ne sentez-vous pas que de pareilles questions sont purement intellectuelles et dignes des seuls adultes qui ont déjà oublié la parfaite simplicité et la forme irrécusable des expériences vraies ?
Pour moi qui avais huit ans et qui vivais au lieu de penser, la lumière était là. Sa source n’avait pas été coupée. Je la sentais jaillir à chaque minute, et gonfler et vouloir se répandre sur le monde. Je n’avais rien à faire pour qu’elle vienne à moi. Elle était là, inévitable. Elle était là tout entière et je retrouvais ses mouvements et ses nuances, c’est-à-dire ses couleurs que, quelques semaines plus tôt, j’aimais si passionnément.
C’était, vous le comprenez, une grande nouvelle, et d’autant plus grande qu’elle contredisait tout ce dont ceux qui ont des yeux sont persuadés. L’origine de la lumière n’est pas dans le monde extérieur. Nous ne le croyons que par une illusion commune. La lumière est là où se trouve la vie : à l’intérieur de nous.
Il a fallu pourtant que je marche et que je trouve mon chemin entre les portes, les murs, les hommes et les arbres.
Comme tout aveugle, il m’est souvent arrivé de me heurter. Mais j’ai très vite appris que je me heurtais seulement quand j’oubliais la lumière. Si, au contraire, je la regardais constamment, je courais beaucoup moins de risques.
Et la seconde grande leçon est venue presque aussitôt. Pour pouvoir regarder la lumière intérieure, il n’y avait qu’un moyen : aimer.
Si j’étais pris de chagrin, si j’étais en colère, si j’enviais ceux qui avaient leurs yeux, si je me laissais aller à quelques rancunes ou quelques jalousies, aussitôt la lumière diminuait. Parfois, elle s’éteignait tout à fait. Alors, je devenais aveugle. Mais la cécité, c’était cela : ne plus aimer, être triste ; ce n’était pas avoir perdu les yeux.
Je vous parlais de découvertes.
C’en était une, et si grande que toute une vie de religion et de moralité, bien souvent, ne suffit pas à la faire faire aux autres.
Ici (il faut aussi le dire), j’ai eu une chance exceptionnelle, celle d’avoir des parents qui aussitôt avaient compris. Jamais ni ma mère ni mon père ne se sont apitoyés sur mon sort. Jamais ils n’ont prononcé devant moi le mot « malheur ». Mon père, en particulier, qui savait ce qu’est la vie spirituelle, m’a dit aussitôt : « Chaque fois que tu découvres quelque chose, dis-le. »
Encore découvrir. Il avait raison.
Il ne s’agit pas de consoler ceux qui perdent la vue, ni ceux qui perdent quoi que ce soit – la fortune, la santé ou un être cher.
Ce qu’il faut, c’est les amener à voir ce que cette perte leur apporte, les cadeaux qu’ils reçoivent à la place de ce qu’ils ont perdu.
Car il y a toujours des cadeaux. Dieu le veut ainsi.
L’ordre se reconstitue. Rien, jamais, ne s’abîme. »
– Jacques Lusseyran
Carine Lavigne
Thérapeute et Guide de l'Âme
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