« Notre examen de conscience est de nous demander ce que nous contenons.
Il y a en chacun de nous un espace intérieur à traverser, à parcourir comme un espace véritable, en regardant quels objets sont là et où ils sont.

C’est un grouillement d’images et de sons que nous trouvons – des sons qui éclatent et ne se terminent pas, des bouts d’images dont aucune ne réussit à devenir une forme.
Nous allons même trouver des objets plus vagues encore, des sortes de poussées, des mouvements qui ont la force de besoins.
C’est le bric-à-brac ordinaire d’une conscience.

Nous allons nous poser une question : ces morceaux d’images et de sons, ces fragments de désirs sont-ils à moi ? Sont-ils à moi ou d’autres les ont-ils mis en moi ?
Est-ce ma voix que j’entends ainsi – ma voix quand je parlais tout à l’heure à quelqu’un ? Est-ce la voix de ma femme, de mon mari, de mes amis, de mes enfants, d’êtres vivants ?
Et ces images, est-ce qu’elles me rappellent les objets dont je me suis servi, les lieux où j’ai marché, travaillé ?

Tout est mêlé : mon espace intérieur n’est plus à moi.

Et voici que je suis cimetière de mots, de cris, de musique, de gestes que personne ne fait pour de bon, d’informations, de recettes, de publicités, de séquences cent fois répétées.
Je suis distrait de mon espace intérieur et de toute façon, la place est prise. Le monde extérieur a semé ses détritus partout.

Et c’est ici qu’il faut du courage car il n’y aura bientôt plus un pouce de notre espace intérieur qui ne soit piétiné chaque jour.
L’amour lui-même (et qui aurait dit qu’il sortirait un jour du refuge le plus intime des êtres ?) devient spectacle : on s’est mis à le faire devant nous.

On interroge les gens sur tout, les sondages d’opinion remplace les conversations.

Et on croit aux réponses comme si une majorité, une moyenne étaient des réalités !
L’homme moyen n’existe pas. C’est pourtant à ce non-homme que nous donnons la plupart de nos soins. L’autre, celui qui est capable de changement, celui qui, se découvrant moyen, ne supporterait pas cet état, celui qui ne dirait « je sais » que si c’était lui qui savait, il étouffe.

Il semble qu’on donnerait cher pour enfin se débarrasser de ce hasard encombrant, de cet imprévu obstiné qu’est l’homme, de ce risque impossible à programmer qu’est le moi dans l’homme.

J’aimerais penser que je dramatise sans le vouloir. Mais je ne crois pas.

Ce germe d’humanité en chacun de nous, notre moi, a besoin de nous car sa pollution va plus vite que celle de la terre.
Ce lien entre l’homme individuel et le principe universel, il ne suffit assurément pas de le nommer : il faut encore le désirer consciemment. Je vois augmenter le nombre d’hommes qui ne le désirent plus. Mais ce travail du moi, quoique lent et difficile et soumis à tous les pièges des idées et des apparences est, de tous ceux que nous pouvons faire, le plus chargé d’espérance.

Et je sais pas ne pas être le seul à l’aimer et à l’entreprendre. »